Beyou : " Ça chamboule un peu partout dans la tête "

18 janvier 2017

Après 73 jours de mer, Jérémie Beyou aborde les 1000 derniers milles de son Vendée Globe en position idéale pour terminer sur la troisième marche du podium, dimanche ou lundi. Le skipper de Maître CoQ, s’il reconnaît penser de plus en plus à l’arrivée, reste extrêmement concentré sur la bonne marche et la santé de son bateau.

© Eloi Stichelbaut / Maitre Coq

(Avant de débuter l’entretien Jérémie, en bon passionné de sport qu’il est, s’est d’abord enquit du résultat du match du Championnat du monde de handball joué lundi entre la France et la Russie, 35-24…)

Jérémie, comment s’est passé le début de semaine ?

Jérémie Beyou : Depuis plusieurs jours, je navigue dans un étroit couloir entre une dorsale calée dans mon est et un thalweg (zone de basse pression de front froid) dans mon ouest envoyé par une dépression que je commence à sentir un peu. Les derniers jours étaient tendus, il fallait vraiment que je reste dans le flux de secteur sud, parce qu’il n’y avait pas d’air juste derrière moi, cela nécessitait d’être assez rapide dans les petits airs et de rester dans ce couloir. Hier, comme j’étais un peu décalé à l’est, je me suis recalé dans l’ouest, ce qui m’a obligé à faire deux empannages, il a fallu trouver la bonne force et la bonne direction de vent pour empanner au bon endroit. J’ai essayé de faire les choses tranquillement pour ne pas abîmer le matériel, mais je n’ai pas beaucoup dormi, parce qu’un empannage, ça prend une demi-heure, mais c’est beaucoup de matossage derrière.

Quelles sont vos conditions de navigation actuellement ?

JB : Le vent est en train de forcir, une vingtaine de nœuds, le bateau est à 18-19 nœuds mais comme je suis coincé entre deux phénomènes, le vent reste très irrégulier, il rentre par bouffes, passant de 15 à 20 nœuds. La mer était vraiment croisée depuis deux jours, là, elle s’est rangée, ça glisse pas mal.

Vous passez ce mercredi sous la barre des 1000 milles vous séparant des Sables d’Olonne, comment se présente la situation météo ?

JB : Pendant deux jours, je vais avoir du vent plutôt soutenu d’une vingtaine de nœuds, peut-être même un peu plus, donc j’avancerai sur des allures assez rapides, mais ensuite, je vais devoir contourner une dépression qui se loge au milieu du Golfe de Gascogne et génère des conditions très faibles. Cela me fait faire le tour par le nord, ce sera une phase plus délicate parce qu’il n’y aura vraiment pas beaucoup de vent. Si vous me demandez une ETA (estimation d’heure d’arrivée), je pense que dans cinq jours, je suis arrivé, mais c’est difficile d’être précis, parce que les deux derniers jours s’annoncent très aléatoires, je ne sais pas trop comment je vais avancer là-dedans, il va falloir garder ses nerfs.

Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un marin à qui il ne reste plus que 1000 milles à parcourir après 73 jours de mer ?

JB : Ça chamboule un peu partout dans la tête ! Tu es concentré sur ce que tu as à faire, c’est-à-dire essayer d’aller vite pour accrocher les phénomènes météo, mais en même temps, tu penses forcément à l’arrivée. Tu as beau essayer de t’empêcher de le faire, tu commences à avoir des images dans la tête… Maintenant, je sais qu’il peut arriver encore tellement de choses que j’essaie de me retenir, je me dis que c’est encore long et que ça va être complexe jusqu’au bout. Et comme je n’ai pas de concurrent réellement menaçant dans mon tableau arrière, je suis vraiment concentré sur la gestion du matériel, je fais quatre-cinq inspections du bateau par jour.

De l’extérieur, on a l’impression que ce tour du monde est passé très vite, partagez-vous ce sentiment ?

JB : Oui, c’est pareil, il s’est passé tellement de choses… Quand je repense à tous les événements de mon Vendée Globe, j’ai impression que c’était hier, mais en même temps, si je regarde devant, j’ai encore l’impression que l’arrivée est loin. Ce qui est sûr, c’est que je ressens une réelle forme d’usure. Je ne dirais pas de ras-le-bol parce que je suis content d’être en mer, mais j’ai envie d’autre chose… Les 18 mètres du bateau commencent à être vraiment petits et il y a de l’impatience de retrouver la terre et les proches…

Un mot sur le duel final entre Armel Le Cléac’h et Alex Thomson ?

JB : Pour moi, ce n’est pas fini. En termes de positionnement tactique, Armel a l’avantage, mais au niveau de la météo, ça peut être un peu plus mou que prévu, ce qui peut permettre à Alex de se rapprocher. S’il revient à vingt milles, ça peut changer la donne.