Jérémie Beyou : "J'y vais pas à pas"

7 décembre 2016

Débarrassé de ses problèmes de grand-voile depuis le week-end dernier, Jérémie Beyou avale les milles à grande vitesse – 22 nœuds de moyenne sur quatre heures mercredi matin ! – et devrait franchir la longitude du Cap Leeuwin dans la journée de jeudi. Quatrième après l’abandon de Sébastien Josse, le skipper de Maître CoQ s’est livré sans fard mercredi matin.

© Eloi Stichelbaut / Maître CoQ

Jérémie, quelles sont vos conditions à l’approche du cap Leeuwin ?

Jérémie Beyou : « Je suis devant un front qui me fait avancer vite. Hier (mardi), les conditions étaient favorables, avec une mer plate, c’était facile d’aller vite, du coup j’en ai profité (le plus rapide de la flotte avec 470 milles en 24 heures). Actuellement, j’ai une mer un peu croisée, c’est plus difficile, si bien que j’ai réduit la voilure. Ce n’est pas évident de trouver la bonne cadence : on aimerait bien être tout le temps à 20 nœuds de moyenne, mais parfois, quand on essaie de ralentir, on n’arrive pas à faire démarrer le bateau, on se retrouve à 16-17 nœuds, alors que quand on essaie d’attaquer, on monte vite à 25-30 nœuds. »

Les problèmes de grand-voile sont-ils derrière vous ?

JB : « Oui, je pense que j’ai réparé tout ce qu’il y avait à réparer. J’avais l’impression qu’il y avait plus de déchirures, je ne les ai peut-être pas toutes retrouvées, mais les grosses sont réparées, c’est l’essentiel. Et le hook a l’air de tenir, donc ces avaries sont derrière moi, je croise les doigts. »

Au niveau météo, parvenez-vous à obtenir davantage d’informations ?

JB : « Oui. J’ai réussi à reconfigurer mon ordinateur, c’est mieux, et j’ai fait une bricole avec l’antenne Irridium de secours que j’ai mise sur ma gaffe. Du coup, quand je veux me connecter, je sors la gaffe avec l’antenne sur le pont, c’est un peu précaire et les fichiers restent longs à charger, mais pour l’instant, ça me permet d’avoir une meilleure connexion, c’est beaucoup mieux qu’il y a quelques jours. »

Comment voyez-vous la situation dans les jours qui viennent ?

JB : « J’ai un long bord de reaching le long de la zone des glaces qui m’attend pendant deux jours dans du vent soutenu, autour de 30 nœuds, parfois 35, ça va se renforcer à une quarantaine au passage du front quand je vais franchir la longitude du Cap Leeuwin. Ensuite, le vent va rester fort, il ne descend pas sous les 25 nœuds pendant 4-5-6 jours et à plus longue échéance, vers la Nouvelle-Zélande, une nouvelle grosse dépression arrive. Je suis parti pour une semaine de vent fort, ça va être le rouleau compresseur, j’ai parfois l’impression d’être dans le barillet d’une machine à laver. Quand ça dure quelques heures, ça va, mais là, ça va durer quelques jours, je vais sortir de là bien essoré. »

Dans quel état physique et mental vous sentez-vous ?

JB : « Physiquement, ça va mieux, j’ai réussi à bien vider le bateau qui est plus étanche, je suis au sec, c’est déjà pas mal. Et j’arrive à mieux manger, même si je n’en suis qu’à mon sac de nourriture de la semaine 3 alors qu’on est en semaine 5 ! Moralement, il y a des hauts et des bas. La nuit dernière, quand j’ai appris que Kito était en difficulté, ça m’a mis un coup, je suis triste pour lui, c’est toujours sur les mêmes que ça tombe… Les pépins qui arrivent aux autres, ça marque. Quand on voit leurs efforts réduits à néant, c’est dur à vivre. »

Rentré en France, Morgan Lagravière expliquait mardi qu’il avait presque ressenti du soulagement quand il a jeté l’éponge tant les conditions sont parfois éprouvantes, qu’en pensez-vous ?

JB : « Je comprends ce qu’il veut dire, je connais ce sentiment de soulagement, parfois c’est tellement dur que quand ça s’arrête, tu es presque content. Il y a deux-trois jours, quand mon hook de grand-voile a cassé, j’ai failli baisser les bras. Il faisait nuit noire, dans des creux de 5 mètres, pendant quelques heures, j’ai eu du mal à redémarrer, je me disais que je n’arriverais pas à réparer. Après, je ne sais pas où je suis allé chercher ça, mais j’ai réussi à le faire. Pour me motiver, je me suis écrit des trucs en grand sur le bateau : « safety first » (priorité à la sécurité) à l’intérieur, et « sois content d’avoir fait une bonne manœuvre » à l’extérieur. Chaque manœuvre propre est une belle victoire, il faut se satisfaire de ça. »

Malgré ces conditions difficiles, arrivez-vous à vous ménager des moments de détente pour lire ou écouter de la musique par exemple ?

JB : « Non, quand ça va vite, tu es à quatre pattes dans le bateau, comme un chien. Et tu n’entends rien : le bruit du foil est assourdissant, c’est comme dans une scierie, c’est strident, tu ne peux pas écouter de la musique. Et tu es sur le qui-vive tout le temps, c’est difficile de switcher en mode relax. Mais j’ai pas mal parlé avec mes proches récemment, ça m’a fait du bien au moral. Je me dis que je suis toujours en course, j’y vais pas à pas, jour après jour, chaque journée passée est une journée gagnée, j’essaie d’avancer comme ça, sans me projeter plus loin. »

 

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